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Histoire Brève de l’île Maurice

par Denis PIAT
Ancien Vice-Président de l’Association France - Maurice

Dès le IXème siècle l’île aurait été visitée par les Arabes qui la nomme Dinarobin. Bien plus tard, les Portugais y font escale vers 1510 et la feront figurer sur leurs portulans sous le nom de Cirné.

Les Hollandais, qui commencent leur installation à Bantam en 1596 pour supplanter les Portugais dans le commerce des épices, y font fortuitement escale en septembre 1598 et la nomment Mauritius en l’honneur de leur prince Mauritius Van Nassau. Sur cette île bien située sur leur route vers les Indes néerlandaises, ils décident de mettre en place une installation durable, voire une petite colonie. Aussi, un premier commandeur y est nommé en la personne de Cornelius Simonz Gooyer qui s’y installe dès 1638. Après un premier abandon de l’île en 1656, un nouveau « gouverneur » est nommé en 1664. Ce deuxième essai, au cours duquel onze gouverneurs se succèderont, se soldera par un échec malgré le succès de l’exploitation du bois d’ébène. En effet, les nombreux cyclones, les rats, les sauterelles, les dépravations causées par les singes, contribueront à les décourager. Bien implantés à leur comptoir du Cap de Bonne Espérance en Afrique Australe, ils décident d’abandonner l’île à son sort et le dernier gouverneur hollandais, Abraham Van de Velde, s’embarque dans la Rade des Moluques (Port-Louis) avec les derniers colons à bord du Beverwaart le 17 février 1710.

Malgré cet abandon, les Hollandais auront eu le mérite d’avoir été les premiers à introduire la canne à sucre et le cerf d’Indonésie en 1639. On impute souvent aux seuls Hollandais d’avoir été les responsables de la disparition du fameux Dodo. Certes ils y ont contribué dans une certaine mesure, mais il ne faudrait pas oublier la très lente reproduction de cet oiseau, son incapacité à voler et à se mouvoir, sans compter les cyclones successifs qui ne manquaient pas d’entraver leur prolifération. Il n’est donc pas interdit de penser que le Dodo était probablement déjà en voie de disparition quand les Hollandais commencent à fréquenter l’île à partir de 1598.

L’île reste déserte de 1710 à 1715 ; cette même année, suivant les instructions du ministre français de la Marine, Guillaume Dufresne d’Arsel, capitaine du vaisseau Le Chasseur, y plantera le drapeau blanc fleurdelisé, et en prendra possession au nom de Sa Majesté le roi Louis XIV en la nommant Isle de France. Une longue période de colonisation française s’ouvre à partir de cette date et pas moins de vingt-deux gouverneurs français se succèderont pendant près d’un siècle de 1715 à 1810.

Une période difficile, couvrant les quinze premières années de colonisation, précèdera l’arrivée en 1735 du véritable fondateur de l’Isle de France : Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais. Ce dernier prendra en main la destinée de l’île et mettra les colons et les esclaves au travail. Avec une énergie sans pareil et en mettant personnellement la main à la tâche, il fera construire routes, aqueducs, magasins, hôpitaux, casernes, batteries pour la défense de l’île, ainsi que ; bureaux, moulins, poudrières, briqueteries et fours à chaux. Pendant ses dix années de brillante administration, il transformera Port-Louis en un port confortable, voire en un superbe chantier naval. Il relancera la culture de la canne à sucre et fera construire un « Hôtel du Gouvernement », destiné aux fonctions administratives de la colonie. Dès 1743, une première petite église sera construite à Pamplemousses , quartier où il réside. C’est pendant son administration que de nombreux colons viendront s’établir à l’Isle de France.

Mahé de La Bourdonnais (1699-1753), véritable fondateur de l’Isle de France
Collection Denis Piat, reproduction ici avec l’autorisation de l’auteur

En mars 1746, il est à la tête d’une escadre de neuf bâtiments quand il se lance à la rescousse du gouverneur Dupleix à Pondichéry, alors en difficulté avec les Anglais. C’est lors de cette expédition que La Bourdonnais fera la conquête de la ville de Madras, véritable place forte anglaise, avant de retourner à l’Isle de France et d’être relevé de ses fonctions en décembre 1746.
Seize gouverneurs français succèderont à La Bourdonnais jusqu’en 1810 et apporteront chacun leur pierre à l’édification de cette petite terre française de l’Océan Indien. Parmi eux et leur entourage, on retrouve des personnages illustres tels que : l’infatigable botaniste et Intendant Pierre Poivre, qui administra l’île de 1767 à 1772 et créa le Jardin des Pamplemousses ; l’incontournable Bernardin de Saint-Pierre, auteur du roman « Paul et Virginie » ; le célèbre explorateur de Lapérouse qui y résida de 1772 à 1778 et qui, pour finir, épousa une mauricienne, Éléonore Broudou ; le gouverneur de Souillac qui fut d’un précieux soutien auprès du fameux Bailli de Suffren en campagne contre les Anglais aux Indes ; le gouverneur Antoine d’Entrecasteaux qui fut choisi par la Convention pour retrouver Lapérouse ; le vice-amiral Denis, duc de Crès, ministre de la marine de Napoléon pendant treize ans ; le « roi des corsaires » Robert Surcouf ; ou encore, l’amiral Duperré, vainqueur de la bataille de Grand-Port en août 1810, la seule victoire navale française contre les anglais sous l’Empire. C’est le 2 décembre 1810 que le dernier gouverneur français, le Général Charles Decaen, sera contraint de capituler devant les forces supérieures des envahisseurs anglais qui s’engagent à respecter la langue française, les pratiques religieuses et les coutumes en vigueur sur l’île.

Désormais l’île, qui est rebaptisée Mauritius, devient anglaise et le restera jusqu’à son indépendance en 1968. Le premier gouverneur anglais, en la personne de Sir Robert Townsend Farquhar, s’installe au château du Réduit et prend les choses en main. C’est la fin de la guerre de course qui a fait tant de mal au commerce britannique. Les activités du commerce maritime diminuent tandis que la demande en sucre de la métropole augmente. Cette situation crée une relance sans précédent dans l’industrie du sucre et la production décuple entre 1825 et 1854. Une nouvelle classe de riches planteurs remplace petit à petit la bourgeoisie de commerçants maritimes.

Dès 1830, l’Angleterre souhaite abolir l’esclavage. Adrien d’Épinay, avocat, ne s’oppose pas au principe de l’abolition, mais lui et les autres acteurs de l’industrie sucrière ne peuvent envisager qu’elle ne soit pas accompagnée d’une aide financière qui permettrait d’éviter l’effondrement inéluctable de l’économie du pays. Ce principe d’indemnité financière avait été préconisé en son temps par les colons quand la France (le Directoire) envisageait l’abolition sans indemnité en 1796. Le gouverneur Malartic avait implicitement accepté ce principe et il avait, "tant bien que mal, maintenu le statu quo à l’Isle de France" après le renvoi des agents du Directoire Messieurs Baco et Burnel. Adrien d’Épinay, homme politique et planteur, est donc choisi par ses pairs en 1831, pour représenter leurs intérêts à Londres auprès des autorités britanniques. Grâce à sa force de caractère, sa ténacité et son habileté diplomatique auprès de la « perfide Albion », il obtient du gouvernement anglais, non seulement que l’abolition sera accompagnée d’une assistance financière pour subvenir à la main d’œuvre ainsi supprimée, mais aussi la liberté de la presse, jusqu’alors muselée par les autorités anglaises. Il obtient également de l’Angleterre la création d’une Assemblée Coloniale comprenant des représentants mauriciens exclus de l’administration, ainsi que l’accès des colons aux emplois publics sans autre préférence que celle due au mérite. C’est pendant son long séjour à Londres qu’Adrien d’Épinay aura l’occasion de rencontrer l’illustre homme politique Charles Maurice de Talleyrand- Périgord, Ambassadeur de France, lors d’un dîner chez ce dernier.

Adrien d’Épinay 1794-1839
Collection Denis Piat, reproduction ici avec l’autorisation de l’auteur

De retour à Maurice, d’Épinay fonde, en 1832, l’un des premiers quotidiens au monde et le nomme : Le Cernéen (du nom de Cirné inscrit sur les portulans portugais). C’est au courant de cette même année qu’il fonde également la Banque de Maurice qui fonctionnera pendant une vingtaine d’années avant d’être supplantée par la Mauritius Commercial Bank, mise en place en 1838 par des commerçants anglais et mauriciens avec l’appui du gouverneur Sir William Nicolay et dont l’avocat et homme d’affaires Henry Koenig fut le premier président.

Pour remplacer les esclaves enfin libérés, mais qui ne veulent plus travailler la terre, les planteurs entreprennent, en 1835, d’employer sous contrat des "coolies" de Bombay, Calcutta et Madras. Hélas, les dures conditions de vie de ces immigrés ne sont pas beaucoup mieux que celles des anciens esclaves. Mais sans doute moins mauvaises que celles dont ils souffraient en Inde, puisque la plupart d’entre eux ne retourneront pas dans leur pays à l’expiration de leur contrat . En effet, sur 450,000 "coolies" arrivés à l’île Maurice entre 1835 et 1909, seulement 150,000 retourneront en Inde à la fin de leur contrat.

Et bientôt, les hindous seront plus nombreux que les Européens et les autres communautés réunis. Ce sont ces mêmes indiens qui apporteront une contribution indispensable au développement de l’industrie sucrière et du pays au courant du XIXème siècle, tandis que des réseaux ferroviaires sont installés pour relier les plus grandes villes comme Port-Louis, Flacq, Curepipe et Mahébourg. Les très difficiles conditions de vie des "indentured labourers" (laboureurs sous contrat), ajoutées aux épidémies de paludisme, les conduisent à la révolte en 1871. Vers la fin du XIXème siècle, la chute des débouchés de vente réduit provisoirement l’engouement des colons pour l’industrie sucrière. C’est la période où les immigrés vont bénéficier du morcellement des terres.

Ce n’est qu’en 1909 que cessera l’importation de la main-d’œuvre "coolies". Et il faudra attendre 1920 pour voir une reprise des affaires dans le monde sucrier. Malgré cette relance, les conditions ne s’améliorent guère et les immigrés continuent de se plaindre de leurs faibles salaires et la crise sociale est latente. Au cours des festivités, en 1935, pour célébrer la date anniversaire de l’arrivée des premiers "coolies", intervient une prise de conscience de l’identité sociale et culturelle hindoue. Cette tendance aboutira en 1936 à la création du Parti Travailliste par le Dr. Maurice Curé, qui sera suivie de violentes grèves en 1937 et 1938 menées par ce dernier, le syndicaliste Emmanuel Anquetil et le Pandit Sahadéo.

En 1947, pour calmer la situation, le "Colonial Office" à Londres, prend la décision de réformer le suffrage censitaire de la constitution de 1885 pour l’élection du Conseil Législatif et d’introduire le droit de vote pour tout citoyen sachant signer. Cette mesure entraîne la victoire du Parti Travailliste en 1948. Le Dr. Seewoosagur Ramgoolam est élu membre de l’Assemblée Législative et pour garantir la pérennité de son pouvoir politique, il instaure le suffrage universel dès 1958. Le Parti Travailliste, associé à d’autres partis politiques, s’assure ainsi la victoire lors des élections de cette même année et ne cesse de prendre de l’ampleur tout au long des années qui vont suivre.

En août 1967, des élections décisives pour l’avenir du pays sont organisées offrant le choix aux citoyens entre le rattachement à l’Angleterre ou l’indépendance vis-à-vis de cette puissance coloniale. Le parti de l’indépendance, derrière son chef le Dr. Ramgoolam remportera ces élections, tandis que le parti du rattachement à la Grande Bretagne, dirigé par Gaëtan Duval à la tête du Parti Mauricien Social-Démocrate, devra s’incliner. L’indépendance de l’île sera officiellement et dignement entérinée le 12 mars 1968 et en 1992 le pays deviendra la République de l’île Maurice que nous connaissons aujourd’hui.

Le Gouverneur Britannique félicitant Sir Sewoosagur Ramgoolam lors de la cérémonie de l’indépendance du 12 mars 1968